Voilà quelques temps que nous devrions renoncer volontairement à la fâcheuse manie d’être informé. Nous devrions sans mentir, penser que nous ne devrions être soulagé que le jour où nous déciderons de ne plus jamais chercher à être informé des dernières nouvelles. Plus encore, décidons que le mieux pour nous, serait de renoncer à tout ce que nous ne savons qu’à moitié. Chacun tentera de déduire ce que cela équivaut à mettre au rebut, ce que l’on peut parfois considérer comme un savoir encyclopédique, tant sur le plan personnel que culturel ou que professionnel.
Qui d’entre vous ne s’est vu au moins une fois, attablé en compagnie d’autres personnes, chacune d’elles étalant les échantillons de ses connaissances, récitant des choses lues dans des livres ou des magasines. Ne vous êtes vous alors rendu compte qu’aucun de nous ne connaissait à fond aucun des sujets abordés ? ! Cette science occasionnelle, mondaine, est cependant supportable jusqu’à un certain point : la curiosité a le droit d’être satisfaite, même si on ne lui donne que du pain et de l’eau. En réalité, nous ne nous reprochons pas tant de posséder une culture composée en majeure partie d’un savoir myope que d’éprouver le désir irrépressible d’être informé.
Or le fait d’être « bien informé » entraîne toute sorte de contrariétés. La plus évidente est que la hiérarchie des informations soit établie par d’autres et que ce sont des personnes qui nous sont étrangères qui décident de ce qu’il est important de savoir. Si un politicien de deuxième classe (ils sont sans doute les plus nombreux ! ) fait un faux pas ou commet une fraude, l’armée de ceux qui se tiennent informés est dans l’obligation de tout savoir sur ce qui s’est passé. Si une guerre éclate à l’autre bout du monde, les gens informés accumuleront les informations sur ce conflit. Si une actrice célèbre offre sa culotte à un acteur célèbre, les hommes informés connaîtront les moindres détails de la « transaction ». Que ce soit par le biais d’Internet ou d’un abonnement à quelques organes de presse, nous emmagasinons une quantité monstrueuse d’informations qui, avouons le, finiront à la poubelle quelques jours après.
Heidegger avait déjà donné un nom à ce désir d’être informé : « l’avidité de nouveautés ». Il se plaignait en 1947, que les hommes se soucient autant de la culture et si peu de l’essence des choses, préférant ronger la coquille plutôt que goûter au fruit.
Il va sans dire que ce renoncement à posséder à fond le petit nombre de choses que nous savons, porte une atteinte majeure à notre capacité de réflexion. Nous n’allons jamais au fond des choses parce que nous nous préoccupons trop d’augmenter notre savoir encyclopédique (c’est en tout cas ce que nous croyons) plutôt que de penser. Sans doute, si nous inversions les valeurs de cette équation (emmagasiner des connaissances / pensées) le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui serait moins bête et irréfléchi. En attendant, nous continuons à vouloir être comme des ordinateurs, capable de stocker des quantités astronomiques d’informations. D’ailleurs qui n’a pas de l’admiration pour celui ou ceux qui ont une mémoire exceptionnelle et dont nous parlons généralement comme d’êtres intelligents.
C’est ainsi que certains patients me rapportant « l’incroyable » fait de ne lire jamais aucun journal, me rapportaient immanquablement : « Docteur, si je lisais les journaux, si je regardais les informations télévisuelles, je serais en train de prendre ou de reprendre du Prozac ( ! ) et de mettre à mal tous les efforts entrepris par ma psychothérapie avec vous ».
C’est depuis ces réflexions que je me suis demandé qui des deux était « psychothérapé », et que je ne supporte plus d’entendre l’opinion distillée par les médias de quelques origines et de quelques pays qu’ils soient. Ne pas être informé nous garde très certainement de tous ces fléaux si indigestes.
Gageons toutefois que le Centre Vitruve échappe peut être à ce système !!
Paris, époque des grèves de 2019….
D’après un article du Guillermo Fadanelli, dia siete Mexico, retranscrit dans Courrier International n° 708 (2004).